vendredi 15 mars 2013

Portrait d'une traversée


Fenêtre météo acceptable, mais pas idyllique ! Départ 7h, sous la pluie, avec  une houle venant en travers du bateau d'une hauteur de 1m à 1m50. La visibilité est exécrable, la pluie est froide (et certains osent appeler ça de la plaisance) ! 
Au milieu de l’après-midi,  la pluie s'arrête net,  le soleil vient,  la houle s'atténue et …..




Brève réjouissance…   Le vent a tourné de 180°en 15 secondes,  ramenant avec lui des gros nuages lourds chargés d’humidité.  Et puis sa copine la houle débarque elle aussi, tranquillement,  grossissant a vu d’œil, prenant de plus en plus de hauteur au fil des quarts d'heure pour atteindre les 2m environ (on s'en doutait la météo l'avait prévu).
Le bateau  a été balancé de droite à gauche continuellement transformant l’intérieur en véritable capharnaüm.  Le moindre déplacement se calcule, à l'image d'un alpiniste cherchant ses prises, une  boite de conserve mal arrimée s’est mise à voler, frôlant les moustaches du pauvre chat!

Le bateau pendant la traversée

La nuit tombe.
Certaines vagues sont d'une hauteur impressionnante par rapport à la moyenne (de jour, vous les voyez arriver, mais de nuit....elles viennent en traître s'écraser sur la coque créant une belle gerbe d'eau vous trempant au passage !) 
Pour éviter d’avoir les yeux rivés sur le compas, on  aligne une étoile avec un point du bateau et au fur à mesure que l’on avance, on change d’étoile.  
Les quarts sont pris chaque deux heures (2 heures de repos, 2 heures sur le pont). Avant de prendre son quart, on fait le point pour savoir où on en est.
Il fait terriblement froid au mois de mars en pleine milieu de la méditerranée ! Le sommeil est impossible.

Et  au loin, une  lumière pas plus grosse qu'une tête d'allumette apparait ; puis une autre et une autre ; et cela grossit petit à petit… . Le jour se lève, c'est une ombre à présent, qui s'étale.  Plus on approche,  plus l’ile se découvre. Au fur et à mesure, sa silhouette imposante nous laisse deviner ses reliefs,  la couleur de ses roches… Elle n’arrêtera pas de grossir tout doucement  au rythme où l’on avance.  Ca sent bon l'arrivée ! Dans 3h on y sera !

Mais soudain le vent change brutalement de direction nous obligeant à partir au près pour suivre notre cap laissant l’ile sur bâbord…
Epuisé,  trempé,  il faut régler le bateau,  lâcher des ris, border les voiles. Le bateau se met à giter,  il fend les vagues avec finesse, mais au bout de quelques dizaines de minutes déjà le doute s'installe : je n’ai pas l’impression d'avancer.  Après deux heures, lors du point, le constat est déprimant : 2 miles nautiques effectués  (pour cause les vagues et le courant de face !), alors que depuis le début de la traversée nous avançons de 11 miles en deux heures en moyenne.

Nous avons choisi de nous rabattre sur un petit port situé sous notre vent : Cargèse! (Qui connaît Cargèse ??).  Nous écartant de plus de 15 miles de notre destination, l'approche demande beaucoup de concentration.
Des récifs abrupts, avec du ressac et certains rochers traîtres à fleur d'eau  traînent dans le coin. On approche à tâtons, on scrute l’horizon à la jumelle,  les yeux brûlés par l'eau salée,  on a froid, on est fatigué, la carte marine que nous possédons est une carte dite routière  de l'année 1848 (oui, oui) qui couvre de Marseille à Ajaccio, donc peu précise pour les petits détails.
On entre dans la baie, les premières odeurs de l’île nous parviennent, le village à notre bâbord se réveille tout doucement (oh, c’est dimanche !!).
On descend, on refait un point, le crayon a disparu,  il a volé à l’autre bout du bateau (5 bonnes minutes pour le retrouver). Le point enfin fait, juste le temps de sortir la tête et d'annoncer d'un ton serein et plein de fierté  « Le rocher doit être au 75°à 1 mile », qu’un rayon de soleil transperce l'épaisse couche nuageuse éclairant comme part un  don divin le fameux rocher.
 Il est 8h30, on se présente devant l’entrée du port, on aligne le phare tribord avec l’église, on s'avance tout doucement,  des chevaux pâturent non loin du port,  les cloches de l’église  retentissent…

On s'amarre, on descend à terre, on  s'allonge sur le quai, on éclate de rire : « On est en corse ! »

Et là, croyez-le ou non,  un pêcheur s'approche doucement, tout doucement, me regarde et  me tend son téléphone : « Monsieuuuurrrr,  téléphooone pour vouuus ! »

Arno
Le port de Cargèse


4 commentaires:

  1. Très bon tout ça! Vraiment très bon! là, vous l'avez mérité, la corse. Trop pur. Vraiment, puis j'aime comme c'est écrit. moi j'y crois au pécheur! La suite!

    RépondreSupprimer
  2. oh j'adore! BRAVO! et c'est trop bien ecrit, j'ai l'impression d'etre avec vous! MERCI! Juliette

    RépondreSupprimer
  3. Super,en Franche comté C'est la neige et la glace, grâce à vous j'ai un petit bout de méditerrané j'ai même le gout du sel.

    RépondreSupprimer
  4. J'adooooooore vous lire ! La suite ! la suite ! xxxxxx

    RépondreSupprimer